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alexis michalik

Comment naît un chef-d'oeuvre ? Après le triomphal succès critique et public de sa pièce (plusieurs Molières à la clé en 2017), le jeune acteur, dramaturge et désormais cinéaste Alexis Michalik adapte son propre spectacle au cinéma. C'est indéniablement l'un des films de cette rentrée de janvier 2019.

Une distribution impeccable, un rythme qui tient en haleine malgré quelques moments plus doux, une mise en scène efficace et surtout, pas une simple pièce vulgairement filmée. Un film, un vrai, qu'on essaie de décrypter.

Je n'ai pas vu la pièce Edmond d'Alexis Michalik, mais j'en ai beaucoup entendu parlé. Comment ne pas passer à côté de ce succès théâtral phénoménal qui vaut au jeune auteur de 36 ans d'être adoubé par ses pairs et d'être la nouvelle coqueluche du théâtre Français ! Cela fait quinze ans qu'Alexis Michalik avait en tête de faire un film sur la création de Cyrano de Bergerac (Edmond Rostand, 1897). Mais faute de trouver des financiers, il décide d'en écrire une pièce, qui est l'un des plus beaux succès de ces dernières années sur les planches. Finalement, les hommes d'argent sont revenus et le film se fait. Et quel enchantement !

Le speech, rapidement : nous sommes en 1897, Edmond Rostand, qualifié par lui-même d'auteur raté, rencontre le grand comédien Constant Coquelin. Ce dernier lui somme de lui écrire une pièce et un rôle d'envergure en trois semaines seulement. Ce sera une comédie. Ce sera Cyrano de Bergerac, et ce sera un triomphe !

Comme je vous l'ai dit, n'ayant pas vu la pièce, je m'attacherai ici à uniquement décrypter ce film sans tenter la moindre comparaison. Un film relativement brillant et magistralement maîtrisé par le cinéaste pour sa première expérience derrière la caméra. 

Un film, un vrai. Pas une simple pièce filmée.

Dès les premières secondes, nous sommes transportés dans le Paris du tournant des années 1890-1900. Les premières images sont magiques, le bruit du brigadier théâtral donne le ton sur fond noir puis nous passons à un ciel étoilé parisien. Une calèche, une Notre-Dame de Paris étincelante, une douce musique, une jeune Tour Eiffel toute aussi sublime et nous tombons sur la façade du théâtre de la Renaissance où joue Sarah Bernhardt (excellente Clémentine Célarié). Cette ouverture est digne d'une grande pièce, d'un rêve. Elle annonce quelque peu le ton romantique du film, car ici l'enjeu d'écriture n'est pas seul. Ce film est un rêve, mais un rêve réel, pensé et travaillé dans ses moindres détails.

Très vite j'ai eu peur de l'ennui. En effet, passé les premières scènes où Edmond Rostand se remet en question, se demande s'il n'a pas raté sa vocation, etc, on peut imaginer un film mou, lent, sans rythme, sans but précis. Or, assez rapidement, malgré la multitude des personnages présents à l'écran, on devine que Michalik tient les reines et mène rondement bien sa barque.

Que ceux qui pensaient voir une pièce filmée fuient les salles obscures ! Le néo-cinéaste a bien compris la différence fondamentale entre théâtre et cinéma tout comme Truffaut et son sublime Dernier Métro (1980). La mise en abîme est superbe. Il en va de même pour les histoires dans l'histoire. Ici, tout est montré, dans ces moindres détails, nul besoin de se questionner (ou un minimum car après tout le cinéma sert à cela en partie), de suggérer telle ou telle chose comme au théâtre.

Car si le film nous montre évidemment un auteur qui trouve l'inspiration pour l'écriture de son chef-d'oeuvre, Michalik nous montre savamment comment elle arrive. De quelle manière. Via d'autres histoires, au travers d’une mise en scène qui va crescendo, qui alterne entre champs-contre champs minutieusement pensés, plongées zénitales arrivant à point nommé comme pour montrer tout le poids que peut ressentir Rostand à tel moment de l'écriture ou plus généralement à un moment T de sa vie (une période de deux ans de page blanche, de questionnements multiples, de remise en question de son amour, etc).

Je vous l'ai dit et je le pense : l'ennui s'en va rapidement et laisse place à une mise en scène qui montre sa force au fur et à mesure du film. Les personnages se multiplient et cela ne nuit aucunement à cette force-là, justement cela la justifie, même via les plus petits rôles qui sont savoureux (le comédien qui rabâche sans cesse ces souvenirs, la prostituée qui se retrouve sur les planches sans crier gare, M. Honoré, le précieux patron de bar, etc). La force de cette mise en scène audacieuse est qu'Alexis Michalik a trouvé une juste place à tous ses nombreux comédiens. Aucun n'est laissé sur le bas-côté. Là est tout l'art de la mise en abyme théâtrale. Cette mise-en-abîme est à son apogée quand le cinéaste transporte l'ultime acte dans un décor plus vrai que nature, hors des murs théâtraux pour y revenir de façon douce et indolore et terminer son film sur le triomphe de cette première en décembre 1897. 

Le rythme et les personnages : puissance du film.

Au-delà de cette mise en abyme réussie, le rythme tient un rôle important. Je vous parlais d'ennui. Mais en écrivant ces lignes, je me questionne : n'est-ce tout simplement pas le parti pris du cinéaste ? J'entends par là, de débuter le film doucement, sans rebondissement. En réalité, c'est cela je pense. Alexis Michalik pose le décor (mauvais jeux de mots, je sais). Il nous explique qui est qui, qui fait quoi et petit à petit le rythme décolle, s'envole même. Tout cela jusqu'au magnifique dernier acte (les scènes de la première), drôle et émouvant, parfois burlesque et dramatique. Tout s'enchaîne, voire peut-être un peu avant pendant les répétitions, tout s'accélère, nous sommes à la fois sur scène, dans les coulisses, dans la vie privée d'Edmond Rostand, au cœur même de ses questionnements d'auteur et d'homme (est-il amoureux de Jeanne ? Va-t-il quitter sa femme?). Et c'est là que je reviens à mes propos sur la différence fondamentale entre théâtre et cinéma que le jeune auteur Michalik a saisi de façon magistrale. Au théâtre, de façon générale, on ne peut que suggérer des choses, imaginer ce qui passe avant et après (même à la simple lecture d'une pièce). Contrairement au cinéma où, même si on laisse notre imagination travailler, tout est expliqué (en grande partie dans ce film tout cas), pensé et montré. Le spectateur assiste pleinement à l'envers du décor et c'est plaisant ! Ainsi, on comprend mieux qu'un grand dramaturge comme Rostand peut avoir deux ans de « pages blanches », que son inspiration ne vient pas forcément avec un simple claquement de doigt. Ici, le cinéaste nous donne à voir plus généralement les failles de l'être humain ; et qu'il est important de parfois se remettre en question pour avancer.

Pour terminer sur le rythme, les personnages sont unanimement importants. Et ceux qui les incarnent le sont tout autant ! Aucun n'est laissé à l'abandon et c'est tout le grand plaisir de ce film. Chacun est d'une force incroyable, même Clémentine Célarié en grande et immense tragédienne que fut Sarah Bernhardt. Elle en fait un peu des caisses mais ne tombe pas dans la dérision ; que dire de Thomas Solivérès qui m'étonne à mesure qu'avance le film, tour à tour majestueux, paumé, sûr de lui, à la ramasse, son personnage est complexe mais terriblement attachant ; Mathilde Seigner semble s'incarner elle-même en comédienne râleuse à tout bout de champ, mais là également c'est subtilement écrit et joué donc cette mise en abyme dans la mise en abyme est géniale et passe parfaitement. On retiendra aussi l'incarnation quasi-parfaite de Tom Leeb (fils de Michel) en amoureux bête ; ainsi que celles des frères corses et financeurs de la pièce sous les traits de Simon Abkarian et Marc Andréoni. Même Alexis Michalik, qui s'offre le rôle de Feydeau y est excellent de drôlerie et de finesse. Ces deux mots résument en réalité tous les personnages et tout le film.

Je n'aurai de cesse de vous conseiller d'aller le voir. De profiter de ce petit bijou, de prendre du plaisir, de lâcher du lest, car, après tout, le cinéma n'est pas qu'une machine à questionnement sur notre monde, mais aussi une machine à rêves. 

Frédéric Le Compagnon

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