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LE CRIME DE L'ORIENT EXPRESS
de kenneth branagh

L'oeuvre de la romancière Agatha Christie n'en finit pas d'inspirer les cinéastes. Avec cette adaptation d'un de ses romans les plus célèbres, nous assistons à un exercice cinématographique hautement intéressant. Porté par le cinéaste-acteur Kenneth Branagh et une pléiade d'acteurs tous aussi bons les uns que les autres, ce film mérite d'être vu, car on y passe un bon moment.

Quel pari d'adapter un roman d'Agatha Christie au cinéma. Je vous l'avoue sans honte, je n'ai pas lu le roman, pas celui-ci. Je rendrai compte donc uniquement du contenu cinématographique, techniquement et esthétiquement. Quel pari disais-je, voire même quelle prouesse de réussir brillamment à condenser en un petit moins de deux heures un roman (comme tous ceux de Christie) si foisonnant de détails, de réflexions et de mises en scène.

Kenneth Branagh, cinéaste mais aussi rôle principal qui prête ses traits au mythique Hercule Poirot, réussit une mise en scène subtile, tout en mouvement et en rythme avec quelques moments de répit qui tombent à points nommés. Le temps passe vite, on est happé dans l'histoire quasi-instantanément malgré le fait que je déplore l'arrivée tardive du crime principal et l'installation d'une certaine longueur narrative à un moment donné. Mais elle passe rapidement, notamment grâce à ce rythme enjoué et la bonne incarnation des acteurs.

Branagh réussit selon moi une belle mise en scène cinématographique, allant du plan général au zoom le plus signifiant (sur des visages ou objets) en passant par des travellings méticuleux et des cadrages forts intéressants. Plusieurs plongées zénithales font leur effet, notamment lors de la découverte du corps, qui font de nous les spectateurs, les seuls juges de ce qui se passe devant nous yeux. Le cinéaste ne réunit que rarement les treize passagers dans le même cadre, deux fois si ma mémoire est bonne (lors de l'annonce du meurtre et lors des au revoir du détective Poirot) et ce, dans la même pièce, comme pour boucler la boucle. Branagh préfère nous mettre en scène des petites entrevues entre chaque passager, lui-même et M. Bouc, le directeur de l'Orient-Express. Par ce procédé, classique mais qui fait son effet, il installe un suspense et distille des indices sur l'identité du coupable. Il installe aussi un dynamisme de mise en scène en parsemant son film d'ellipses très courtes mais significatives pour deux raisons. L'une d'un point de vue de la narration : Hercule Poirot va vite pour en finir avec cette enquête et pour pouvoir enfin profiter de ses vacances mais également parce que c'est un détective passionné. La deuxième dans un but de mise en scène précis : donner les éléments aux spectateurs, mais paradoxalement les empêcher de suivre l'enquête trop rapidement, de comprendre trop vite. Faire durer le suspense en somme. Puis, ces ellipses donnent aussi un air de mystère à ce film. Un air onirique. Plusieurs fois, je me suis posé la question de la réalité même de l'histoire. Par exemple, lors de la découverte du corps de la victime, la scène est digne d'intérêt tant nous sommes à la place du juge (Dieu quelque part) par ce procédé de plongée zénithale comme je le disais. Toutefois nous ne voyons à aucun moment ce dit corps. Aucune dépouille à l'horizon. Comme si aucun crime n'avait été commis. Il faut attendre quelques instants pour découvrir qu'un corps existe, et qu'il a été vraisemblablement assassiné.

Branagh maîtrise sa mise-en-scène de façon précise, nette, tranchée et donne au film ce dynamisme qui en fait sa valeur ajoutée. Sans ce dernier, il aurait été d'une fadeur triste. À cela s'ajoute les décors somptueux, d'abord à Jérusalem, puis à Istanbul, pour terminer sur ce huit-clos à bord d'un réplique quasi identique du mythique Orient Express.

J'aimerais ajouter, pour terminer là dessus, que Branagh installe quelques moments de répit disais-je dans le film. Sans doute pour donner une ampleur plus dramatique, « crépusculaire » comme il dit dans une interview. Une ampleur plus humaine aussi. Mais également pour donner l'occasion au détective Poirot de mener à bien son enquête et de ne pas se tromper de coupable tant l'affaire paraît complexe. 

Les acteurs sont l'autre point fort de ce film. Ils se marient amplement à la mise en scène du cinéaste et ont chacun leur moment à eux. Ils apparaissent à tour de rôle et sont auditionnés par Hercule Poirot chacun, les uns après les autres, souvent filmés en gros plan comme pour tenter de décrypter leur part obscure. Chacun alors se livrant à des souvenirs plus ou moins réels. Au premier rang, Kenneth Branagh lui-même, réalisateur ingénieux et acteur qui l'est tout autant. Il donne à Poirot une humanité sans nulle autre pareil, un humour assez jouissif je dois dire non pas par des blagues mais par une mimique physique. Et il se fond complètement dans le personnage tant il est méconnaissable derrière cette sublime moustache. Branagh/Poirot est comme la ligne directrice de ce film, par lui passent tous les comédiens, toutes les actions et les péripéties. C'est lui le chef de file en somme.

Ensuite, la géniale Michelle Pfeiffer, qui fait un retour assez remarqué cette année entre Mother ! de Darren Arronofsky et le film de Branagh est brillante dans le rôle de cette femme mystérieuse qu'est Mme Hubbard. Dans la scène finale, celle qui voit confondre le coupable, l'actrice est sublime de vérité et d'incarnation au sens noble du terme. Pfeiffer a toujours oscillé entres films grand public (Batman Returns, 1992, Tim Burton) et films plus discrets, d'auteurs (Une vie à deux, 2000, Rob Reiner), mais à chaque performance elle m'éblouie par sa présence, son regard, son jeu réduit à d'infimes expressions faciales notamment. Ici, elle prouve encore une fois toute l'étendue de son talent et se dévoile comme une grande tragédienne.

Le reste du casting est certes prestigieux, mais je dois avouer ma déception car leurs rôles ne sont pas à la hauteur de leur talent ou alors, justement, trop à la hauteur et se situent dans une certaine répétition. Johnny Depp en bandit déloyal à souhait n'est pas sans rappeler nombre de ses incarnations, notamment celle de Public Ennemies (Michael Mann, 2009) avec ce même physique des années 1930. Judi Dench, actrice légendaire tout en silence n'occupe qu'un rôle de seconde zone et ne fait pas preuve de renouvellement dans son incarnation de cette princesse russe tout en mystère. Il en va de même pour Penelope Cruz, Josh Gad et même le brillant Willem Dafoe qui nous a habitué à de meilleures performances. Seules les incarnations de Branagh et Pfeiffer sauvent le film d'un ennui certains. Néanmoins, je le répète, le cinéaste filme à merveille ses acteurs, notamment lorsqu'ils sont tous dans le même cadre. Un exemple avec cette scène finale, où tous attablés face caméra, ils sont face à notre jugement, celui de Poirot mais également celui de Dieu semble-t-il. Cette scène est bien construite car, par un habile jeu de reconstitution des emplois du temps de chacun, Poirot arrive à démasquer les véritables personnalités de chacun et de dévoiler le nom du coupable. Ou plutôt, devrais-je dire des coupables. Mais je ne vous en dirais pas plus…

S'en suit, une belle scène finale de sa chambre jusqu'au bar du train où tous l'attendant, Poirot est filmé de dos par un travelling maîtrisé et agréablement beau. Il se retrouve face aux passagers et inverse les rôles : c'est lui qui est jugé par les autres et non l'inverse.

 

Je vous conseille vivement ce film. Pour la beauté des paysages mais également pour une réalisation toute en maîtrise, notamment au niveau de la cadence. Enfin pour le jeu de Kenneth Branagh et de Michelle Pfeiffer. 

Frédéric Le Compagnon

LA PROMESSE DE L'AUBE
d'éric barbier

Sorti il y a bientôt un mois, La Promesse de l'aube, le dernier film d'Eric Barbier est une adaptation du roman éponyme de Romain Gary dans lequel il relate la relation fusionnelle entre un fils et une mère. Inspiré de sa propre vie, l'ouvrage est considéré comme un roman autobiographique. Je ne l'ai pas lu et c'est finalement une bonne chose car cela évacue dès à présent la question de la fidélité à l’œuvre qui pour moi est peu pertinente dans le cadre d'une réflexion sur l'adaptation, oui oui !

Ce long-métrage est incroyablement calibré pour la soirée film du dimanche soir à la télé, une narration fainéante, de l'émotion (ou du moins une volonté d'émouvoir), de l'action et une pincée d'humour. Le tout porté par celui qui fait toujours figure de jeune premier Pierre Niney mais surtout par Charlotte Gainsbourg, juste mais dont les choix d'acting laissent un peu perplexe. Son accent polonais par exemple, n'est certes pas du niveau d'un Benoît Magimel singeant lamentablement l'accent du sud-est dans la catastrophique série Marseille, mais quand même pourquoi s'aventurer sur cette pente glissante ? Velléités de récompenses ou désir de vraisemblance ? Dans le deuxième cas il suffisait d'engager une actrice polonaise mais naïve que je suis j'oublie que les films français à gros budget se montent sur des « noms » bankable en France… Passons vite sur le jeu des acteurs et des actrices qui sans être extraordinaire rend plutôt service à un film qui par ailleurs peine à séduire.

La narration d'abord manque de dynamisme et c'est probablement le résultat du choix de départ de nous faire découvrir de façon linéaire (de l'enfance de Romain à la mort de sa mère), l'histoire de cette relation mère/fils. Effectivement le film s'ouvre sur une séquence dans laquelle Romain, adulte, malade vient de finir son roman autobiographique. Sa femme de l'époque profite donc d'un long trajet en direction de l'hôpital pour le lire et c'est ainsi que nous plongeons dans le récit. Logiquement le film se termine sur le moment où sa femme referme le livre et rejoint son mari pour échanger quelque mots sur sa défunte mère. A noter que nous assistons à un dernier plan assez navrant car vu et revu : les deux protagonistes sont assis sur un banc et la caméra s'élève peu à peu symbolisant ainsi le fait qu'enfin il laisse sa mère partir… Et sans oublier les derniers mots de la voix off qui cite le passage le plus célèbre du livre : « Avec l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, une promesse qu'elle ne tient jamais... ». Fin. Larmes. Élan d'amour pour votre propre mère ou autre figure maternelle. Je plaisante, on est loin de ce niveau d'émotion. On peut d'ailleurs s'interroger sur la pertinence de continuer à porter à l'écran de cette façon ce genre d'histoire d'amour fusion entre un fils et sa mère à une époque où enfin la famille canonique est remise en question…

Pour autant la narration linéaire n'est pas forcément un mauvais choix mais la mise en scène ne permet pas de la dépasser et d'y injecter du rythme et ce n'est pas une scène de combat aérien fantasque qui va nous faire sortir de la léthargie du récit (Romain fait partie de la R.A.F pendant la seconde guerre mondiale). Les plans sont proprets et lisses, doit-on y voir ici l'influence de la pub dans les choix de réalisation quand on sait qu'Eric Barbier y a travaillé ? On peut aussi s'attarder sur la photographie du film et encore une fois les choix de couleurs et de teintes de l'image censés représenter les différentes parties de l'histoire relèvent d'une forme de naïveté et de simplisme qui ne font que renforcer des clichés. Effectivement la première demi-heure du film se déroule en Pologne à la fin des années 20, l'image est alors sombre, teintée de clair-obscur et de couleurs froides. On nous donne ainsi à voir la rudesse de l'hiver, les difficultés financières de la famille et les quolibets antisémites que déjà le jeune Romain doit affronter. À l'inverse à leur arrivée en France, à Nice, l'image revêt un ton presque sépia et laisse place à des couleurs chaudes, c'est la fin des problèmes financiers et les premiers émois sexuels de Romain devenu alors adolescent. D'ailleurs que penser de cette navrante scène de sexe entre le jeune homme et sa jeune femme de ménage, stéréotype méprisant de la femme du sud qui serait frivole, exubérante avec un accent prononcé. C'est une scène caricaturale, illustration d'une psychologie de bas-étage dans laquelle la mère surprend le fils en train de copuler et se débarrasse sans ménagement de sa « rivale ». Les femmes dans ce film n'ont pas leur place (sauf la mère bien sûr) elles ne sont qu'objets sexuels servant de faire-valoir au héros dans des scènes de coïts ou à l'inverse, moteurs de ses déceptions sentimentales... On peut justement me rétorquer qu'il s'agit ici du sujet du film, aucune femme ne peut « remplacer » la mère. Certes, mais le réalisateur n'en fait pas la critique et c'est là justement le problème. Il n'y a pas suffisamment de mise à distance, de relief, d’ambiguïté dans la représentation des rapports entre Romain et les femmes et de la relation fusionnelle qu'il entretient avec sa mère. Tout au plus on assiste à une scène violente dans laquelle elle le gifle et le saisit parce qu'il ne l'a pas défendue mais ce moment est vite évacué, on l'oublie presque, noyé parmi plein de complaisance à l'égard de cette matrone. Ses excès suscitent surtout le rire, elle devient un personnage touchant. Je ne dis pas qu'il aurait fallu en faire un monstre, le cliché inverse, mais qu'une lecture plus subtile des rapports mère/fils aurait pu émerger et là encore indépendamment de ce que nous raconte Gary dans l’œuvre de départ… Le manque de subtilité est donc le gros défaut de ce film et la preuve ultime de grossièreté et de lourdeur se trouve dans la séquence qui se passe en Afrique. Notre héros se promène sur un cheval dans une zone aride et croise près d'un rocher une vieille dame très fatiguée. Grand seigneur car cela pourrait être sa mère, il l'a ramène dans son village, arrivant ainsi entouré d'une ribambelle d'enfants, ô le chevalier blanc ! Cette scène grotesque à l’esthétique colonialiste laisse pantois.

Je ne recommande donc pas la vision de ce film au cinéma et à peine à la télévision un dimanche soir si par malheur votre connexion internet était en panne. Pour finir sachez qu'il n'y a plus rien de subversif à montrer un type en train d'écrire à poil sur les fesses d'une femme et rien de nouveau à filmer en gros plan la plume qui gratte le papier ou encore à montrer frontalement l'écrivain tapant à sa machine ! Donc pour celles et ceux qui s'imagineraient voir le processus créatif de l'écriture porté à l'écran de façon originale (après tout n'oublions pas que le héros est écrivain) passez votre chemin et ouvrez un livre.

Anne-Lise Desgranges

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