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ma vie avec john F. DONOVAN
XAVIER DOLAN
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Quelques années après Juste la fin du monde, voici le dernier film de Xavier Dolan, tout juste 30 ans, Ma vie avec John F. Donovan.

Après moult rebondissements, plusieurs problèmes de production, de post-production mais également de montage et je passe sur l'accueil plus que glacial au Festival de Toronto 2018 voici enfin le film d'un cinéaste qui se créer un univers à lui, une esthétique reconnaissable entres toutes.

Ma vie avec John F. Donovan nous raconte l'histoire d'un jeune homme qui au court d'une interview narre sa correspondance passée avec un acteur-star au coeur des années 2000. Dolan nous plonge dans la grandeur et la décadence de l'âme humaine avec tout le talent qu'on lui connaît. Un film fort, sublime et subtil, sombre, douloureux porté par des acteurs en état de grâce, Kit Harington en tête suivi de près par Jacob Tremblay, Susan Sarandon et Natalie Portman. 

   J'avais des réticences en entrant dans la salle de cinéma ce vendredi 15 mars. Je ne sais toujours pas si j'ai aimé le dernier Dolan Juste avant la fin du monde, sorti en 2016. Je lisais des mauvaises critiques, je voyais ce mystère qui planait autour de sa sortie. Mais j'y suis allé malgré tout. Et au final j'ai été très agréablement surpris par un film qui me rappelle ces premiers, notamment sur l'esthétique, nous y reviendrons.

Xavier Dolan réalise son meilleur film, toute en profondeur, décryptant les méandres de l'âme humaine et les non-dits, il s'attarde sur les relations conflictuelles mère-fils (sa marque de fabrique quelque part), parle d'homophobie et évoque de façon bouleversante la solitude des êtres. En fond, la vie tumultueuse de John Francis Donovan, star d'une série télévisée américaine qui entretient une correspondance épistolaire avec le jeune Rupert durant quelques années. La star meure et une dizaine d'années plus tard Rupert décide de publier toutes les lettres. Jamais ils ne se sont vus.

   Comme son film précédent, Dolan filme ses acteurs-personnages de très près, comme pour y sonder leurs âmes, leurs faiblesses et leurs forces même je pense à croire qu'ils sont principalement fragilisés par la vie, par une quotidienneté qui les étouffe. Leurs visages lises, beaux et jeunes cachent de grandes misères. Dolan les filment souvent entre ombres et lumières comme pour nous montrer les mystères qui les entourent (en témoignent aussi les affiches-personnages qui sont floutées). Dans ce film, il y a la question de la solitude, de notre devenir, de nos envies. Ainsi le personnage de John F. Donovan est encrée dans une terrible spirale meurtrière, qui d'ailleurs le mène à sa perte. Il est en proie à des doutes terribles, des questionnements existentielles. Dolan enveloppe tous ses personnages dans des endroits peu ouverts, exigus, sans aucun horizon possible comme enfermé sur eux-même. 

   Malgré une douleur apparente, le jeune réalisateur nous entraîne dans des moments de vie absolument beaux et marqués par une faiblesse certaine, je pense à la scène de rupture entre Donovan et son amant après une nuit d'amour, confinés dans une voiture dans une piètre ruelle de Manhattan. Scène d'une beauté et d'émotions incroyable mais difficile pour plusieurs raisons : l'étroitesse des lieux qui oblige à une certaine intimité qui entraîne alors une difficulté d'élocution car en effet John F. Donovan n'arrive pas à dire explicitement qu'il quitte son amant. Dolan montre ici que, même dans la plus stricte intimité, nous ne pouvons dire simplement les choses. Pas une seule fois le terme « je te quitte » est prononcé. Et Donovan quitte ce véhicule seul dans une rue déserte. On le retrouvera seul dans une ruelle plus tard dans le film quand il vient de se faire jeter par l'amant en question après une visite surprise chez ce dernier.

Cette solitude humaine est aussi accentuée par plusieurs plongée zénitales sur les ruelles étroites de Manhattan, lieu de vie du héros. Comme si dans cette immense ville, densément peuplée et animée 24H/24H notre Donovan n'arrivait pas ou ne voulait pas s'insérer dans un monde qui finalement lui est étranger.

   Les quelques scènes familiales sont aussi révélatrices de ce mal-être : personne ne se parle réellement, la mère est alcoolique, malheureuse, ses regards sont bouleversants de vérités et on sent un malaise constant un peu comme dans Juste la fin du monde. L'une des dernières scènes familiales, dans la salle de bains est précédée d'un moment de grâce absolu où la mère avoue tout son amour à son fils, qui lui n'arrive toujours pas à le dire. Susan Sarandon prouve à qu'à 70 ans passés elle est une immense actrice, qu'elle arrive en un regard à incarner cette mère abandonnée et ne sachant que faire de la célébrité trop pesante de son fils. La dernière scène familiale dans la salle de bains se finit sur un long gros plan sur le visage de Grace Donovan (Sarandon) absolument fantastique, renforcé dramatiquement par le fait qu'en voix-off on annonce que c'est la dernière fois qu'elle voit son fils vivant. La seule et unique fois que Donovan va se confier c'est dans sa lettre d'adieu au jeune Rupert. La scène, l'une des dernières du film est révélatrice du mal-être qui ronge cet acteur-star et sa quête de vérité et d'identité. Elle questionne également sur les circonstances de sa mort, suicide ou overdose ? Dans les deux cas, cette mort est le résultat de ses trop nombreuses questions, d'un fragilité qui se fait jour petit à petit dans le film, de ce mystère qui l'entoure lui, son passé, son enfance et sa famille. Au fond Dolan ne nous donne pas de réponse à qui est vraiment Jonathan Francis Donovan (son vrai prénom est Jonathan). Mais le sait-il lui-même. Au lieu de nous donner ces réponses-là, Dolan nous montre cette quête d'identité.

   Attardons nous maintenant sur une scène fabuleuse et prenante, ou plutôt plusieurs scènes, au centre du film. Elles aboutissent à la révélation de l'homosexualité de Donovan et à sa correspondance avec Rupert. Ces scènes sont sous une tension telle qu'elle émeuvent au plus au point. Donovan est comme une cocotte-minute qui attend pour faire psssssht si j'ose dire. La musique, ici choisie avec soin, accentue ce moment intense du film. Ces scènes se font en alternance entre la vie de Donovan et la vie du jeune Rupert et se termine lorsque l'acteur passe à tabac un technicien du film. Dans un dialogue monstre avec un Donovan en pleure qui nous avoue que personne d'autre que lui ne le connaît réellement, que personne ne peut le juger.

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   Pour cette deuxième partie, nous allons parler des acteurs et émettre néanmoins quelques regrets sur ce film ambitieux.

Après une décennie dans la peau de Jon Snow, Kit Harington, 32 ans, nous prouve toute l'étendue de son immense talent d'acteur et tourne la page Games of Thrones. Ici le britannique est entouré d'une distribution prestigieuse : Natalie Portman, Susan Sarandon, Kathy Bates (toutes les trois récipiendaire de l'Oscar de la meilleure actrice, rien que ça) mais également en second plan le talentueux Michael Gambon (le deuxième Dumbledore de la sage Harry Potter) ou encore le jeune Jacob Tremblay découvert dans Room.

   Revenons à Kit Harington. Il prouve, avec cette incarnation parfaite de jeune acteur paumé, mis sur la touche après la révélation de son homosexualité, qu'il est un acteur à suivre. Son jeu, toute en finesse et en retenue, est bouleversant. Dolan ne déroge pas à sa règle en le filmant de très près, chaque pore de sa peau nous ai offert comme pour mieux comprendre ce personnage complexe et torturé. Son regard est souvent noir, il esquisse souvent des petits sourires et son incarnation ne se joue qu'à quelques détails. Kit Harington a trouvé un rôle à sa mesure, qui fait écho à sa propre vie lui qui ne doit sa célébrité qu'à une série ultra-populaire et qui trouve en Xavier Dolan un pygmalion. Il se fond dans l'univers et l'esthétique Dolanienne avec brio. Sa voix est posée, ses paroles mesurées, ses doutes sont marquées par des silences éloquents. Un acteur à suivre, assurément, qui s'émancipe avec talent de son personnage Jon Snow.

   Les autres acteurs sont tous aussi brillants les uns que les autres. Dolan les choisi avec talent. Natalie Portman est ultra crédible en mère divorcée et paumée qui ne sait pas comment s'y prendre avec fils Rupert. Son jeu est simple et naturelle et cela fonctionne. Susan Sarandon est magnifique. Elle incarne cette mère avec tout le talent qu'on lui sait et nul besoin d'un grand rôle pour nous prouver qu'elle demeure une immense actrice. Ici, elle se met en danger, joue constamment entres ombres et lumières, entres tendresse et cruauté. Les scènes avec elle sont parmi les plus belles et devient une mère dolanienne formidable dans la lignée des Nathalie Baye ou Anne Dorval. Enfin, Jacob Tremblay (Rupert jeune) est criant de vérité tout comme son alter-égo adulte incarné par Ben Schnetzer.

   Deux bémol cependant dans cette œuvre si poétique et si tragique : le rôle de Kathy Bates réduit à l'essentiel pour ne pas dire à néant. Une si immense actrice aurait méritée quelque peu mieux semble-t-il. Enfin, un montage qui ne convient pas tout à fait, malgré deux longues années à le faire, le défaire et le remanier. On s'attend à mieux, à moins de fouillis entre deux époques. Quelques longueurs également viennent ternir le film, notamment le début, peut-être un peu long mais qui s'oublie vite.

 

   Pour terminer, je dirais que ce film est une belle et surprenante surprise. Une œuvre douce, poétique mais paradoxalement encrée d'une époque cruelle et parfois inhumaine. L'esthétique de Dolan est présente avec une magnifique photographie, des couleurs chaudes, jaune-orange qu'on reconnaît depuis ses premiers films. Ma vie avec John F. Donovan est une œuvre sur l'humanité et ses complexité qui mérite d'être vue. C'est aussi l'oeuvre la plus travaillée et la plus dense de Xavier Dolan. Je vous le conseille vivement, on en ressort ému, bouleversé, on se questionne sur nous-même et sur notre monde. 

Frédéric LE COMPAGNON

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